La révolte des bonnes soeurs de Venise
Et si les patriciennes refusent de se laisser enfermer ?
« Lorsque quelques personnages de haut rang visitent Venise, vous leur montrez vos couvents, qui ne sont pas des couvents, mes des lupanars et des bordels publics! » tonna le frère Timoteo da Lucca dans un sermon prononcé dans l’église de Saint Marc en présence du doge, le Noël de 1497.

Eglise de San Zaccaria
Le monastère de San Zaccaria, l’un des plus anciens et des plus riches de Venise, avait toujours été, dès sa fondation au IX siècle, le lieu que les familles les plus puissantes du patriciat de la Sérénissime choisissaient pour les filles, qu’elles destinaient au couvent.

Chapelle de San Tarasio
Les sœurs y jouissaient d’une considérable autonomie et même d’une certaine autorité: leur couvent était souvent destiné à recevoir les personnages les plus influents et haut placés qui visitaient Venise, et les sœurs jouaient par conséquent un rôle dans la diplomatie vénitienne.

Giovanni Battista Brustolon, Procession de Pâques devant l’église de San Zaccaria, Venise (d’après Canaletto), 1765
Chaque année, le jour de Pâques, c’était à San Zaccaria que le doge de Venise concluait les cérémonies de la Sainte Semaine en participant aux vêpres. L’abbesse, en vêtements somptueux, le recevait à la porte de l’église et l’emmenait rejoindre les autres religieuses dans le chœur, où tout le monde pouvait non seulement les entendre, mais même les voir chanter. Et quoi dire de la réception qu’elles donnaient après les vêpres, où sur des tables apprêtées dans le chœur, et même dans l’église, elles offraient aux hôtes leurs célèbres chalisoni, des gâteaux aux amandes?
Elles recevaient des hôtes et portaient les vêtements des dames laïques, elles pouvaient même laisser le couvent pour régler les affaires du couvent ou pour visiter leurs familles; bref, elles jouissaient d’une considérable liberté.

Le choeur
On peut par conséquent bien imaginer leur trouble et leur bouleversement, quand au début du XVI siècle elles durent se confronter avec la volonté du Patriarche Antonio Contarini, champion d’une nouvelle orientation, qui visait à réformer l’Eglise Catholique. Son but fut de réformer les mœurs de tous les couvents de Venise, et en particulier de San Zaccaria.
Les sœurs de ce couvent firent appel au pape, elles se prodiguaient pour affirmer leur exemption de l’autorité du Patriarche, et en vain: l’esprit d’un temps nouveau travaillait contre elles, mais elles ne s’y rendirent pas sans lutter.
Quand le grand vicaire arriva au couvent pour leur imposer la clôture, accompagné par deux « Avogadori de Comun », avocats communaux qui garantissaient la légalité constitutionnelle, pour leur montrer que le gouvernement avait pris parti contre elles, les grandes dames désespérées se révoltèrent et, ramassant des pierres au sol, abbesse Maria Marcello en tête, elles se jetèrent contre les trois hommes et les chassèrent à coup de pierre.
Leur victoire ne fut pas de longue durée: abandonnées par le gouvernement, c’est à dire par leurs pères et frères, ceux qui les avaient mises au couvent en leur assurant une vie acceptable, même désirable, elles durent se plier.

A. Zonca, Visite du Doge à San Zaccaria, 1688, détail
Des grillages furent posés à leurs fenêtres, les hôtes furent bannis, 16 sœurs provenant d’un autre couvent furent introduites avec autorité sur toutes les propriétés, des murs furent dressés dans le couvent, dans le but d’éviter le contact entre les deux groupes de femmes, en reléguant les rebelles dans l’isolement doré de leur merveilleux jardin, abandonnées à l’ennui d’une vie qu’elles n’avaient pas choisie et qu’elles abominaient.
Ce fut seulement à partir de la fin du XVII siècle, et surtout pendant le XVIII siècle, que le parloir de San Zaccaria redevint un lieu de réception: le siècle des lumières, de la sociabilité et de la conversation apporta à ces femmes en réclusion la lueur d’un nouvel espoir.
Maria Colombo
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Source:
Mario L. Paolo Fassera, La vita monastica a San Zaccaria nei secoli XV-XVI, in « In centro et oculis urbis nostre » : la chiesa e il monastero di San Zaccaria, a cura di B. Aikema, M. Mancini, P. Modesti, Venezia 2016
Paola Modesti, Le chiese e le monache di San Zaccaria (XV-XVII secolo), in « In centro et oculis urbis nostre » : la chiesa e il monastero di San Zaccaria, a cura di B. Aikema, M. Mancini, P. Modesti, Venezia 2016
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